Derniers jours dans les prairies

Publié le par Oriane

P.a.r.t.y program

 

C’était pas franchement la fête. Party, c’est pour Prevent alcohol ans risk-related trauma in youth, c’est un événement annuel organisé par Safe Community (l’asso pour laquelle Carol travaille a mi-temps) qui a pour but de traumatiser les jeunes conducteurs de la région d’Humboldt. L’animation de la journée est assurée par des pompiers, des flics, des ambulanciers-urgentistes volontaires. Une centaine de jeunes de 16 ans arrivent a la salle municipale et s’installent dans les gradins. En face d’eux, une crash scene, 2 voitures accidentées, 1 fille en (faux) sang sur le capot d’une voiture et 3 blessés dans les véhicules.  Un ambulancier prend le mic pour expliquer aux jeunes que voila le scénario, y’a eu un accident, quelqu’un voit la scène, appelle le 911, et voila ce qu’il se passe. Pin pon, pin pon, 5 minutes plus tard arrivent les flics, pompiers et ambulanciers. Les flics remplissent des papiers, pendant que les pompiers vont vers la première victime, celle qui a été éjectée par le pare-brise et qui est sur le capot. Elle est morte, ils la descendent, la mettent sur le coté et jettent un drap blanc sur le corps. Ca jette un froid, et les petits sont soudain bien calmes, et la maman de la fille qui joue la morte fait une tête bizarre. Les pompiers s’activent avec leurs outils pour ouvrir la porte d’une des voitures, et pour l’autre ils coupent le pare-brise et enlèvent le toit pour avoir de la place. Les 3 autres victimes sont seulement blessées et emmenées a l’hôpital par les ambulanciers. En 20 minutes c’est plié, pin pon, pin pon, ils s’en vont. Début des activités pour les élèves : repartis en 4 groupes, ils assistent a 4 workshops, sur les effets de l’alcool (pour les petits anges qui n’auraient pas encore expérimenté La Cuite), les accidents de la route vus par la police, le service des Urgences, et la rééducation. Ensuite, déjeuner, visite de la morgue, et intervention de Kutler. Kutler, c’est un genre de maxi beau gosse de 25 ans, qui était skateur sponsorisé et rentrait les meilleurs tricks de Saskatchewan, avant. Avant qu’une baston tourne mal, qu’il se prenne un sale coup, qu’il passe 5 mois dans le coma, qu’il se réveille avec des dommages cérébraux et mette des mois et des mois a regagner sa mobilité et son indépendance.  L’alcool, c’est mal. Les volontaires quinca ont beau marteler ca aux gamins depuis le matin, j’ai comme l’impression que les demoiselles se rappelleront plus de la demi-heure avec Kutler que des 4 heures de workshop avec eux. Moi, en tant qu’assistante, j’ai passé les slides de son powerpoint et eu une d10ks à la fin. Franchement, voyager en étant Française c’est tellement agréable :)

 

 

Soucieuse de mon éveil a la culture nord-américaine, Carol me propose une soirée Oprah n’ pop corn. C’est dit ! Par contre le pop corn, on fait 2 saladiers, un sucré et un salé. On s’enfile les premiers Dvds du best of sorti pour les 20 ans du Oprah show. Carol les connaît quasiment par cœur, on rigole, s’insurge, se ronge les ongles, fait plus de pop corn, bref on fait nos meufs !

 

 

Nouvelles wwoofeuses. Leanne, originaire de Vancouver, arrive un vendredi après midi a la ferme. Apres 4 mois à se balader en Europe, elle wwoofe au Canada depuis 6 mois. Elle traverse un début de quarantaine assez agité et elle est un peu dans une quête existentielle. Elle est suuuper bavarde, ce qui me fatigue franchement quelques fois, mais globalement on s’entend bien, on s’éclate bien, on fait des théories et on chante des chansons. Surtout {Total eclipse of the heart}, Bonnie Tyler, ma chanson de Ravenheart. Mackenzie, très I d’après le test de Jung-Myers-Briggs, dans sa trentaine, débarque le lundi soir, ne parle pas beaucoup et passe le plus clair de son temps toute seule ou avec les chevaux.

 

Divers : Un matin, Carol nous emmène, Leanne et moi, a la célébration des 100 ans de la ville d’Humboldt. Pour l’occasion sont présents 2 cavaliers de la RCMP (royal canandian mounted  police) et leurs superbes destriers noirs. On like, on prend les photos, on kiffe sur le long manteau en bison d’un fermier du coin, on trippe avec un Mexicain qui a un accent encore plus drôle que le mien, et on dit a Leanne d’avoir l’air malade pour pouvoir quitter en toute discrétion le chapiteau ou se déroulent des discours-fleuves de divers personnages politiques de la région.

 

Balade dans l’hôpital désaffecté : Humboldt a un tout nouveau centre hospitalier fraichement bâti, et le vieil hôpital sera détruit incessamment sous peu. D’ici la, tout ce qu’il reste des vieux bâtiments est à vendre, et Carol a repéré une jolie fenêtre en arc de cercle qu’elle aimerait récupérer pour son étable. On part donc se balader dans les couloirs et salles désaffectées, voir s’il y a d’autres trucs intéressants pour la ferme. Les employés et pensionnaires ont laissé des messages et des dessins sur les murs, entre joie et nostalgie, l’ambiance est bizarre. Ca fait un peu {I’m a legend}, dans le trip ville laissée a l’abandon depuis des années, on s’attend a zombie derrière chaque étagère. On lit sur un mur ce qui sera notre credo des prochains temps : {Don’t cry because it’s over, smile because it happened.}On en reparle dans 1 semaine hein. Carol repère un évier qu’elle voit bien dans l’étable, je prends un jeu de carte et Leanne une cassette vidéo.

 

Le jardinage : On est début juin et on n’a toujours rien planté, on est a la bourre dans l’jardin. On retrousse donc nos manches et on passe 2 week-ends à désherber, bécher, creuser, planter, arroser. Au menu a long terme, petits pois - carotte avec pommes de terre au four, salade de tomate et laitue, tarte a la rhubarbe, soupe au potiron, et bien sur mes préférés, les haricots verts. Par contre, ca a été une hécatombe pour les vers de terre. L’expérience jardiland m’a bien plu, tant mieux car j’ai cru comprendre qu’a mon retour j’irai wwoofer chez ma maman, le jardin contre la chambre de bonne ;)

 

Le match de hockey en ville : Le Canada est en finale de la Stanley Cup, pour la première fois depuis 17 ans. En finale, les Canucks de Vancouver affrontent les Bruins de Boston. Ils vont jouer les uns contre les autres jusqu'à qu’une des équipes enregistre 4 victoires. Donc 7 matches maximum pour déterminer le vainqueur. Avec Leanne, on retrouve Kelly dans un bar d’Humboldt pour regarder le premier match. Comme aux Etats-Unis, je me fais lamentablement carter et on se tape un aller-retour a la ferme pour chercher ma carte d’identité. Mode ouais ben désolée, dans mon pays c’est pas comme ca. On va voir le dernier tiers temps chez Kelly, et on célèbre la première victoire canadienne (goal a moins d’une minute de la fin, bien ouej les mecs !) a base de karaoké improvisé dans le salon. Les équipes rejouent ensuite plus ou moins un jour sur 2, et la elles sont a 2 matches gagnés chacune.

 

Roadtrip a Batoche et Duck lake : Ce vendredi, Carol a pris un day off pour me faire visiter un peu la région avant que je parte. On laisse donc les 2 autres wwoofeuses bosser a la ferme, et on part en roadtrip sur le thème {Révoltes des Métis en Saskatchewan}. Les Métis, comme leur nom l’indique, sont le produit des 1ers mercenaires français et des femmes autochtones (indiennes). Ils sont une catégorie bien distincte des First Nations a proprement parler, bien qu’a l’époque ils s’alliaient pour lutter contre leur ennemi commun : le colon wasp, mais on y reviendra en temps voulu. Notre premier stop, après quelques heures à rouler dans les prairies, c’est Batoche.

 

L’histoire de Batoche (j’ai été aidée par le film) : 1870. A l’arrivée en Manitoba (province voisine) des pionniers venus de l’Est du Canada, de nombreux Métis migrent vers l’Ouest, en Saskatchewan,  en quête de terres vierges, d’autonomie gouvernementale et de nouvelles possibilités économiques. Ainsi naquit Batoche (ca, c’est pas d’la brochure), qui se développe et devient rapidement le centre commercial de la région (élevage de bétail, transport de marchandise) et en 15 ans, la population passe de 3 a 1200 personnes, dont un prêtre. C’est la que ca se gâte, car un beau jour l’armée canadienne vient faire arpenter Batoche et sa région, en gros les habitants ne peuvent plus s’installer ou ils veulent. Le gouvernement restreint aussi l’accès a la propriété, aux scripts, et a la représentation des Métis sur la scène politique. Au même moment, les First Nations (Cris) s’impatient, ne voyant pas venir la nourriture et l’aide agricole promises par le gouvernement dans les traités qu’ils viennent de signer. 1884, une petite délégation d’hommes de Batoche invite Louis Riel, chef Métis, a quitter le Montana pour venir diriger son peuple dans sa lutte, comme il l’a fait au Manitoba. Arrivé a Batoche, il met sur pied un gouvernement provisoire dans le but de négocier avec le gouvernement du Canada. Pas de réponse, d’où une  confrontation armée en 1885 entre Métis et le gouvernement canadien. La Bataille de Batoche, c’est 4 jours de combats, moins de 300 Métis, Cris et Dakota dirigés par Louis Riel et Gabriel Dumont, contre 800 soldats de la Force expéditionnaire du Nord-Ouest, commandée par le général Middleton. Les troupes wasp prennent la ville le 4eme jour. Le village est en ruines, les maisons incendiées, les membres du gouvernement provisoire sont en prison ou en fuite. Dumont s’enfuit aux Etats-Unis, Riel est jugé pour trahison et pendu haut et court à l’automne. C’est la fin des Grandes Révoltes de Saskatchewan, bien que les Cris continuent encore un peu a casser du Visage Pale. Les familles de Batoche ne reçoivent a peu près aucune indemnisation pour les destructions de maisons, mais le village est reconstruit et commence à se refaire une santé économique. Mais.. toujours quasi impossible d’obtenir des titres de propriété légaux, les {rebelles indiens} sont de plus en plus exclus de l’économie locale et perdent du pouvoir politique. Le  coup de grâce, c’est le tracé du Canadian Pacific Railway, le chemin de fer, qui passe par une ville wasp au Nord plutôt que par le village Métis, qui du coup perd tout intérêt économique. Aujourd’hui, il ne reste de Batoche plus que son église et sa poste, mais il demeure un symbole de la résistance Métis. Big up, les mecs.

 

L’histoire de Batoche est racontée sous la forme d’un petit film a l’entrée du site. Plus loin, les quelques bâtiments qui restent. La, on tape discut avec un employé, Métis himself, qui nous fait visiter le presbytère-poste, nous raconte quelques anecdotes de la vie du village. Plus loin, les prairies, l’endroit ou a eu lieu la bataille. La semaine dernière, y’avait un ours ici. Un esprit indien, c’est sur.

 

On prend ensuite la route de Duck lake, ou a eu lieu une autre bataille avant celle de Batoche, remportée par les Métis cette fois. Un village aussi petit que sympatoche, ou on se prend notamment 3 énormes bannock dans une petite épicerie de First Nations. A la maison, avec du beurre et de la blueberry jam, alala, tu peux paaas test !

 

Sur la route, on passe devant une réserve, pas celle d’où viennent nos piots, une autre. Au milieu d’un pré, l’espèce d’arène ou ils font les pow wow. J’aurai tellement aimé voir un pow wow.

Sur la route, on s’arrête a une station service, ou y’a des cow boys. Le Saskatchewan, c’est la terre sacrée des cow boys, les vrais avec le chapeau, la chemise a carreaux, le jean et les boots. Et l’accent de cow boy. D’ailleurs Carol elle a des potes cow boys qui ont fait le marquage des veaux le week-end dernier, sur les chevaux, ils les attrapent au lasso et les marquent au fer. Tout comme a la télé mais dans la vraie vie. J’aurai tellement aimé rencontrer un vrai cow boy.

 

Notre voisin Garlen : Notre fournisseur officiel en foin nous avait invité a passer voir ses {elks}, donc ce jour la on passe chez lui avec Carol et Mackenzie. Petit café gâteaux, au cours duquel il me dit que l’autre jour il a attrapé un raton laveur et qu’il a oublié de me le garder. Rahlala, grosse déception, je tenais presque ma toque de David Crockett.. Bon, tant pis. Il me sort ses  fourrures de muskrat du congélo, et me les donne de bon cœur. Certaines sont un peu abimées, le cuir a des traces de balles, mais non sérieux elles sont superbes, et je suis trouverai bien un truc sympa a faire avec. Par contre, comme il n’a pas de licence de trappe, ce sont des peaux illégales, donc si on m’arrête aux douanes, je dois dire que c’est un chef indien qui me les a données :) Il m’emmène ensuite sur son quad dans le pré des elks. Les femelles et les petits sont d’un coté, les males de l’autre. C’est bientôt le moment de récolter les bois. On trouve un petit nouveau né du matin, encore tout mouillé et tapi dans les herbes hautes, il croit qu’on le voit pas. Mais pas de chance, on l’a vu et Garlen le tag a l’oreille en moins de 2. Il est grand pour un nouveau né. Les adultes sont entrain de perdre leur poil d’hiver, donc ils sont pas super reluisants, mais ils sont grands et ils courent vite.

 

L’Eglise : Un jeudi, on croise en ville une copine de Carol, Brenda, qui est {ministre} de l’UCW, United Church of Westminster. Selon Carol, la plus open des 8 églises d’Humboldt, progressiste et gay friendly. Donc le dimanche matin, quand Leanne me propose d’aller a la messe de UCW, c’est un grand oui, car une Eglise progressiste forcement ca éveille ma curiosité. Je crois bien que la dernière fois que j’étais a une messe, c’était a Dublin avec Joanne et on avait bien aimé recevoir la paix du Christ des mamies Irish. Première impression, ca ne ressemble pas a une église catho car il y a plusieurs salles. On se prend un café, on reçoit une fleur parce qu’aujourd’hui UCW célèbre les femmes, et on va se poser. Clairement je suis la seule représentante de la tranche d’âge 15-35 ans. Les dames sont sur leur 31 et beaucoup ont un chapeau assorti a leur petit tailleur, ca fait old school. Les membres de la chorale ont une maxi robe bleue, comme les groupes de gospel dans les séries (oui mais bon, a part la télé j’ai pas vraiment de références culturelles nord-américaines). Bref, ca commence par une chanson, puis une lecture, puis une activité avec les gamins, puis un diapo super long de UCW depuis sa création a Humboldt, d’autres chansons, .. Bref rien de bien nouveau sous le soleil, l’esprit saint, notre père et tout et tout. Donc j’aurai pu trouver l’expérience passable, mais à la fin, c’est le drame. Au moment des petites annonces (surtout promo d’événements de la communauté), elle annonce un tournoi de golf {en soutien à nos troupes}. Donc la, c’est mort, l’église la plus progressiste d’Humboldt est blacklistée. A la fin, la copine de Carol vient nous serrer la pince et nous propose de rester participer au déjeuner, on décline poliment et on s’en va, Leanne contente et moi pas contente.

 

 

Quitter les prairies

 

C’est mon dernier jour a Ravenheart, et c’est un peu la course entre les dernières lessives, le package (notamment des 15 peaux de ragondins. 15 car j’en ai laissé une pour Jeremy). Ce matin réveil de bonne heure pour faire des crêpes pour le petit déj, que je ne mange toujours pas avec du sirop d’érable. Je prends le temps de faire un trip Pissenlits avec ma Sucrette dans le jardin, une gratouille sur le ventre a la vieille Rosie, et un câlin a Brownie-Poko-Willow. Et de lancer une chaussette a Charlie qui aime trop les chaussettes. Je reçois et j’offre des cartes (au Canada, ca se fait beaucoup de donner des cartes de remerciements, j’aime bien le concept).

 

Carol et Leanne me déposent a la station de bus d’Humboldt, on se dit au revoir autour d’une glace. Carol m’offre une petite déco a suspendre dans ma ferme, c’est trop chou.. Pendant 1 mois, elle a été trop une maman, et je lui suis éternellement reconnaissante de tout ce que j’ai pu faire et apprendre a Ravenheart. On se recroisera, c’est sur.

 

 

Publié dans Amérique

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